La faillite de l’Union Générale en 1882
Le krach de la banque de l’Union Générale, suivis de sa mise en faillite le 2 février 1882 fait partie des épisodes marquants du paysage bancaire français.
Pourquoi un tel rappel historique? Tout simplement car l’année 2008 et le début d’année 2009 furent frappés par de nombreux scandales financiers et faillites bancaires. La liste tout le monde la connaît : « Affaire Kerviel, Faillite de Lehman Brothers, Scandale Madoff et Affaire Satyam ». La compréhension et la connaissance du passé permettent de mieux comprendre le présent, voir d’anticiper le futur. Ainsi, cette faillite de l’Union Générale vieille de plus de 127 ans, reste retentissante dans l’histoire bancaire comme l’élément déclencheur de la crise économique et boursière que subira la France à partir de 1882. Par analogie, la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 fût l’élément de trop, contrariant la spéculation irraisonnée des opérateurs de marché, entraînant les marchés financiers dans une spirale baissière retentissante.
Grandeur et décadence de l’Union Général
La banque de l’Union Générale a été créée à Lyon, en 1875 par des monarchistes catholiques. En 1878, la banque se retrouve en difficulté. Elle est reprise par Paul Eugène Bontoux et d’autres investisseurs lyonnais, le 24 mai 1878. Son capital se monte à 25 millions de francs.
Paul Eugène Bontoux est né en décembre 1820 à Embrun, polytechnicien, ancien ingénieur des Ponts et Chaussées, ancien directeur de petites compagnies ferroviaire (La Staatsbahn et de la Sudbahn) et homme politique (conseiller général des Hautes Alpes). Il se fera connaître du public à partir de 1874, grâce au succès que rencontre l’émission de son emprunt (3.5 millions de francs), pour financer des investissements miniers (extraction de lignite) en Autriche dans le land de Styrie. L’opération se révèle une réussite financière. Les titres avaient été émis à 350 francs et atteignent en 1880 les 500 francs. Fort de son succès financier, il souhaite l’exploiter, en se présentant sous l’étiquette légitimiste aux élections législatives de 1877 à Gap. Il est élu mais l’élection sera invalidée pour fraude aux votes. Dépité par cet échec, il souhaite se lancer pleinement dans le monde des affaires. L’histoire de l’Union Générale commence véritablement maintenant.
L’essor de l’Union Générale
Bontoux souhaite créer une grande banque catholique qui puisse concurrencer, les grandes banques de l’époque à capitaux « juifs » comme les Hottinguer, les Neuflize et surtout les Rothschild. Il s’appuie donc sur les milieux cléricaux et conservateurs. Il s’entoure pour cela de grands noms de la droite catholique, comme le Comte de Chambord (prétendant à la couronne de France), de nombreux cardinaux dont le cardinal Jacobini, secrétaire du pape Léon XIII (il investira 335 000 francs), de nombreux évêques français, ainsi que de commerçants. L’Union Générale connaît un essor très rapide. Elle ouvre plusieurs succursales et agences, en France et à l’étranger. En juillet 1878, Bontoux est nommé président du conseil d’administration et Jules Ferrer et nommé vice président.
La banque réalise à ses débuts de nombreuses petites opérations d’agiotages assez rentables, lui permettant de valider son modèle. Ces succès permettent un développement rapide des dépôts de la banque. Ils passent de 22 millions de francs à sa création à 110 millions de francs en 1881. Cependant, les ressources grandissantes de l’Union Générale ne suffissent pas. Les besoins et les investissements sont énormes. La banque investit financièrement et industriellement dans différents secteurs : compagnies d’assurances, brasseries, métallurgie, mines, chemins de fer en France et à l’étranger (Balkans, Orient)…et prend des participations dans différentes sociétés dont la Banque de Milan. Pour financer ces investissements, le capital de la banque doit être augmenté. Il est augmenté une première fois à 50 millions de francs en 1879, et une seconde fois en 1881 à 100 millions de francs. Eugène Bontoux trouve facilement de nouveaux actionnaires attirés par des distributions de dividendes importants. Le cours de l’action, connaît donc une envolée rapide au même rythme que la frénésie d’investissements de la banque. L’action est émise en 1878 à 500 francs, en mars 1881 elle passe à 1250 francs, pour atteindre fin décembre 1881, plus de 3000 francs.
Les problèmes de l’Union Générale
Les différents investissements et placements de l’Union Générale sont plutôt bien gérés par Jules Feder, véritable gestionnaire de la banque. Le problème provient surtout des nombreuses irrégularités de gestion. Ces irrégularités deviennent vite légion, entre les bilans falsifiés (les bénéfices annoncés sont souvent des estimations plus ou moins fiables), les augmentations de capital truquées avec des souscriptions fictives (lors des deux augmentations de capital de 1879 et 1881, un nombre important d’actions ne sont souscrites que bien après la fin de la souscription, par la société ou par des amis à elle. Les actions étant revendues par la suite à un cours supérieure au prix d’émission permettant aux bénéficiaires d’empocher une plus value) et des opérations illégales (versement de cadeaux aux anciens actionnaires comme lors de l’augmentation de capital de 1881 ou les anciens souscripteurs n’eurent à payer qu’un quart de leurs actions nouvelles)…
Cependant, toutes ces anomalies et étrangetés de gestion passent plus ou moins inaperçus grâce à l’appui de plusieurs journaux financiers. Ils sont détenus par des actionnaires de l’Union Générale. La banque détient elle, le contrôle des publications Paul Dalloz. Des journaux comme La Finance, Le Clairon et Le Messager de Paris ont permis de soutenir largement le titre et de vanter auprès de l’opinion les louanges de la banque. Ce « soutien » de la presse, favorisera fortement le cours de l’action qui ne cessera de monter pendant trois ans.
Le krach de l’Union Générale et le début de la crise boursière
Depuis le krach de la bourse de Vienne en 1873, l’engouement pour les marchés boursiers en France est général. La bourse progresse chaque année. La spéculation bât son plein. L’action de l’Union Générale continue sa croissance. Pourtant, des rumeurs commencent à circuler. Le Crédit Lyonnais et la banque Rothschild joueraient la valeur à la baisse depuis plusieurs mois. Le marché toujours insouciant ne réagit que quelques mois plus tard. L’annonce qui met le feu aux poudres est le lancement d’une troisième augmentation de capital fin décembre 1881, devant porter celui-ci à 150 millions de francs. Le 2 janvier, la débâcle commence pour l’Union Générale. L’action commence à chuter. On ne l’arrêtera plus. Le 19 janvier l’action ne vaut plus de 1300 francs contre 3000 début janvier. Le 28 janvier l’action tombe à 500 francs. Le 29 la banque ferme ses portes. Le 30 elle se déclare en cessation de paiements. Et le 2 février, elle est déclarée en faillite. La mise en faillite de l’Union Générale secoue tout le système financier. Les bourses de Paris et surtout de Lyon chutent fortement. La crise s’étend. Les épargnants notamment ceux en situation de reports (principe du SRD aujourd’hui) ne peuvent plus honorer leurs positions. La bourse de Lyon (en fait la chambre syndical) est mise en liquidation. Elle doit donc suspendre les cotations et échanges. Une nouvelle est créée mais un tiers des agents de changes sont démis de leurs fonctions. Les autres banques sont fortement impactées. La banque de Lyon et de la Loire fera faillite en avril. Les clients des banques retirent leurs dépôts. Le Crédit Lyonnais par exemple voit les siens s’effondrer passant de 250 millions de francs à 150 millions en fin d’année 1882. La crise est partie. De nombreuses entreprises font faillite en raison d’une réduction des crédits proposés par les banques durement touchées par la crise. Elle durera sur le plan boursier mais surtout économique jusqu’en 1888. En 1883, Bontoux et Feder seront condamnés à cinq ans de prison qu’ils ne feront pas en partant à l’étranger.
La faillite de l’Union Générale a provoqué la crise économique de 1882. Cette faillite illustre bien le tournant très rapide, entre une phase boursière euphorique et la phase de marasme boursier qui s’en suit. En 1882, la fin de l’Union Générale en a été le déclencheur. Chaque siècle, depuis les débuts de la bourse, connaît plusieurs krachs. Pourtant, si les experts cherchent toujours à expliquer le krach actuel par le précèdent, à chaque fois l’élément déclencheur est différent, soit dans ses conséquences, soit par sa puissance, soit par son originalité.
FB